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La question du pouvoir chez ceux qui n’en avaient jamais eu : bienveillance ou tyrannie ?

  • 13 juin 2025
La question du pouvoir chez ceux qui n’en avaient jamais eu bienveillance ou tyrannie

Le pouvoir agit sur nous. Ce n’est pas une théorie abstraite. C’est un fait d’expérience. Quiconque en a exercé un soupçon en a senti le trouble. Quiconque l’a subi en a mesuré la violence, même subtile.

Au travail, le pouvoir n’est jamais pur. Il est fragmenté, contraint, exposé. Surtout pour ceux qui n’en avaient jamais eu — ces managers de proximité, ces chefs d’équipe soudain promus, ces cadres projetés dans un rôle auquel rien ne les avait vraiment préparés.

Chez eux, le pouvoir produit souvent des effets ambivalents. Certains s’y perdent. D’autres s’y crispent. Beaucoup oscillent entre bienveillance sincère et tentation du contrôle. Ou inversement, entre posture faussement ouverte et fuite devant la responsabilité.

Dans ces zones intermédiaires, là où le pouvoir est fragile et mal accompagné, les équipes en paient souvent le prix : tyrannie douce, décisions absurdes, surcharge implicite.

Ce n’est pas une question de morale. C’est une question de structure, de psychologie., d’accompagnement. Et c’est ce que cet article propose d’éclairer.

Le pouvoir, un révélateur brutal

Le pouvoir n’est pas neutre. Il agit sur celui qui l’exerce. On croit souvent que l’enjeu, pour un manager ou un chef d’équipe, est d’apprendre « comment manager ». Mais l’enjeu plus profond est d’apprendre ce que le pouvoir fait à soi-même.

Michel Foucault l’a bien montré : le pouvoir n’est pas une chose que l’on possède. C’est une relation, une dynamique instable, qui façonne les comportements et les représentations.

Et cette dynamique est d’autant plus complexe lorsque celui ou celle qui l’exerce ne l’a jamais connue auparavant.

Chez ceux qui n’avaient jamais eu de pouvoir, cette bascule vient souvent bousculer l’image de soi. Elle réactive des failles, des besoins anciens : besoin de reconnaissance, besoin de contrôle, peur de ne pas être à la hauteur, sentiment de revanche inconscient.

Et c’est précisément pour cela que le « petit pouvoir » — celui des managers intermédiaires, des chefs d’équipe de proximité — peut se révéler plus dangereux que le pouvoir formel des grandes hiérarchies.
Pourquoi ? Parce qu’il est plus fragile, plus instable, plus exposé au regard immédiat de l’équipe. Et parce qu’il touche des personnes qui, souvent, n’ont pas été préparées à l’endosser.

Le pouvoir est une épreuve. Et ceux qui y entrent sans y avoir été formés, accompagnés, encadrés, en deviennent parfois les premières victimes — avant d’en faire payer le prix aux autres.

Quand le besoin de contrôle prend le pas sur la relation

Chez certains, l’accès soudain à une position de pouvoir réactive des blessures profondes. Ce n’est pas l’ambition qui les guide, mais l’insécurité. Un manque de reconnaissance ancien. Un sentiment d’infériorité masqué. Une peur diffuse de l’incompétence.

Le pouvoir devient alors un rempart contre ces fragilités. Et le besoin de contrôle s’installe. Non par goût du despotisme, mais pour tenir à distance le vertige intérieur.

Les mécanismes de compensation sont connus : micro-management, rigidité des process, autoritarisme de façade. À force de contrôler chaque détail, on croit se rassurer. On croit « tenir son équipe ». On croit gagner du respect.

Mais plus le pouvoir est vécu comme précaire, plus la tentation de le sur-affirmer est forte. Et ce sur-contrôle finit par asphyxier les relations. L’équipe devient un champ de surveillance permanente, les collaborateurs des sujets infantilisés.

On parle alors de tyrannie du détail. On voit apparaître des décisions absurdes, des exigences incohérentes, des réunions inutiles. Tous les signaux d’un pouvoir mal vécu, mal assumé — qui cherche moins à manager qu’à colmater une insécurité jamais travaillée.

De la bienveillance affichée à la tyrannie douce

Le discours RH contemporain valorise à l’envi le « manager bienveillant ». Le terme est devenu un mantra, parfois vidé de sa substance.

Or un manager en insécurité n’a pas les ressources pour l’être sincèrement. Il peut adopter une posture douce en surface — langage positif, écoute en apparence ouverte — et exercer en coulisses un contrôle étouffant.

Ce décalage crée un climat de double contrainte pour les équipes : il faut à la fois être « proche » et « exigeant », autonome mais toujours aligné, force de proposition mais dans les limites du cadre implicite. Et cela sans que le manager lui-même ait été préparé à porter ces contradictions.

Le problème n’est pas dans la bienveillance en soi. Le problème est dans son injonction. On demande aujourd’hui aux managers d’être bienveillants par prescription. Or la bienveillance véritable suppose un travail sur soi, une sécurité intérieure que peu d’organisations permettent de développer.

Une bienveillance injonctive produit souvent l’inverse de l’effet recherché : défiance, malaise, perte de confiance. Les équipes sentent quand le vernis craque. Et ce vernis craque toujours, tôt ou tard, si l’on n’a pas osé interroger son propre rapport au pouvoir.

Le pouvoir délégué… ou abandonné : quand le manager se décharge sur son équipe

Il existe une autre forme de dérive, plus insidieuse : celle du manager qui refuse d’habiter le pouvoir que son rôle implique.

Par peur du conflit, par inconfort avec l’autorité, ou par souci de rester « sympa », certains évitent de trancher, de décider, de porter les arbitrages nécessaires. Ils transmettent les demandes venues d’en haut sans les contextualiser. Ils repoussent les décisions vers l’équipe sous couvert de co-construction ou de responsabilisation.

Au début, cela peut sembler généreux : « je vous fais confiance », « je vous laisse décider ». Mais très vite, cela se retourne contre l’équipe. On lui demande de porter un pouvoir qu’elle ne possède pas réellement. D’assumer des choix qu’on n’a pas assumés pour elle.

Le résultat est connu : surcharge implicite, flou sur les priorités, multiplication des tensions informelles. Ce ne sont plus les managers qui tiennent le cadre du travail : ce sont les équipes qui doivent pallier leur retrait.

Et ce n’est pas seulement une question d’efficacité. C’est une question d’éthique. Une équipe a besoin d’un cadre clair, d’une parole structurante. Elle n’attend pas un chef omniscient, mais un responsable qui tienne sa place.

Le manager qui abdique son pouvoir expose ses collaborateurs à une forme de maltraitance douce : celle de devoir porter sans soutien, décider sans filet, avancer sans repère.

Encore une fois, il ne s’agit pas d’accabler ces managers. Bien souvent, ils n’ont jamais été préparés à tenir ce rôle. On leur demande d’être à la fois « proches » et « capables d’arbitrer », sans leur en donner les clés. On confond l’horizontalité avec l’absence de cadre. Et c’est l’équipe qui en paie le prix.

Le pouvoir, même minime, engage. L’esquiver n’est pas une option. C’est une responsabilité à habiter. Et cela aussi, cela s’apprend.

Que faire ? Habiter le pouvoir sans s’y perdre

Le pouvoir, même modeste, n’est jamais anodin. Il agit sur celui qui l’exerce, autant qu’il pèse sur ceux qui le subissent. C’est une dynamique instable, exigeante, qu’aucun discours managérial lisse ne saurait neutraliser.

Dans l’entreprise, on le confie souvent à des personnes que rien n’a préparées à l’habiter. On les projette dans un rôle chargé de paradoxes : être à la fois leader et proche, décisionnaire et facilitateur, garant du cadre et promoteur de l’autonomie. Beaucoup s’y débattent. Certains surcompensent. D’autres se dérobent.

Mais le cœur du problème n’est pas moral. Il est structurel. On forme encore trop peu à l’exercice juste du pouvoir. On en parle trop en termes d’outils, pas assez en termes de posture. Or tenir une place de pouvoir, c’est d’abord savoir qu’elle est passagère, relative, fragile. C’est l’habiter sans s’y perdre.

Ce qui rend un pouvoir supportable pour les équipes, ce n’est ni sa douceur feinte ni sa rigueur affichée. C’est la capacité de celui qui l’exerce à en reconnaître les effets, à en questionner l’usage, à en limiter la portée quand il le faut.

Former au pouvoir, accompagner ceux qui le reçoivent — même par petites touches —, ce n’est pas un luxe. C’est une condition pour que le travail reste un espace vivable.

Le pouvoir fait partie de la vie des organisations. Le problème n’est pas qu’il existe. Le problème est qu’on le laisse trop souvent s’exercer à l’aveugle.

Pour aller plus loin

Vous accompagnez des équipes.
Vous exercez un pouvoir — parfois sans en avoir été préparé.

Si cet article vous a parlé, sachez qu’il existe une formation spécifiquement conçue pour approfondir ces questions :
Développer une posture de pouvoir éthique en entreprise

Je ne vous y proposerez pas de recette miracle mais vous inviterez à un travail réflexif exigeant et lucide sur ce que c’est, réellement, d’exercer le pouvoir sans le subir — et sans le faire subir.

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